Sémiramis : un palais royal signé Dikansky
À la découverte de la richesse architecturale du quartier…
La Côte d’Azur est un haut lieu de l’Art Déco. Le quartier des Musiciens est un fleuron à part… Et le Sémiramis, une contribution étonnante.
C’est l’un des nombreux palais qui caractérisent l’urbanisme niçois de l’entre-deux guerres, en plein effervescence du style Art Déco. Ces palais, qui désignent des immeubles d’habitation particulièrement luxueux à l’époque, sont très nombreux dans le quartier des Musiciens, qui constitue la « ville moderne » en plein développement durant les années folles.
Pourquoi ce terme de palais, d’ailleurs ? Celui-ci correspond à l’usage commun de la langue niçoise où l’on dit palai et de la langue italienne (ou de ses dialectes du Nord) où l’on dit palazzo, termes qui désignent tout immeuble d’habitation, qu’il soit noble ou de simple facture (et qui dès avant le rattachement de Nice à la France en 1860 auront tout simplement été repris en français) ainsi qu’à la terminologie du paléotourisme (en anglais, Palace a fini par désigner aussi un hôtel et est passé avec cette seule acception en français).
Revenons au Semiramis : La demande de permis de construire de cet ensemble immobilier de 6 étages, haut de 25 mètres date de 1927. Il est réalisé en 1928 par le talentueux Georges Dikansky, dont c’est l’un des premiers immeubles. L’architecte russe (il est né 1881 à Iekaterinoslav, Russie, aujourd’hui Dnipropetrovsk, Ukraine) a réalisé un grand nombre d’immeubles à Nice et sur la Côte d’Azur entre 1925 et 1963, passant d’un style Art Déco affirmé au style moderne, en particulier dans ses dernières réalisations (Domaine de Falicon, etc.). À partir de 1947 et jusqu’à sa mort en 1963, Georges Dikansky collaborera avec son fils Michel (1921-1997) sur de nombreux projets. A noter que le cabinet existe toujours, tout près du quartier au 49 de la rue de la Buffa et il est toujours dirigé par un Dikansky : Luc, qui depuis 2019 a pris la relève de Georges, Michel et de son père, Georges (2e du nom).
Pourquoi ce nom étrange de Semiramis ? C’est une référence à la reine légendaire fondatrice de Babylone, Sammu-Ramat (le nom signifiant « paradis extrême ») qui régna pendant cinq ans depuis la cité mésopotamienne (100 km au Sud de Bagdad) de Babylone sur un vaste royaume qui s’étendait de l’Anatolie au Plateau iranien et dont le nom fut hellénisé en « Sémiramis », lorsque son histoire fut rapportée par l’historien et médecin grec Ctésias de Cnide, puis Hérodote.
Le personnage de Sémiramis – célébrée pour sa beauté comme son intelligence mais aussi son talent de chef de guerre – a inspiré de nombreux auteurs, donc Gioachino Rossini pour son opéra Semiramide, en 1823 (peu après Meyerbeer, qui a composé l’opéra Semiramide riconosciuta en 1819). Un lien naturel avec le quartier des musiciens, qui possède – bien sûr – une rue Rossini ! Même si l’immeuble se situe au numéro 40 de la rue Verdi… On peut donc imaginer que c’est très probablement cet opéra du maître italien qui a inspiré le nom de l’immeuble. Ou encore le poème de Paul Valéry, qui publie en 1920 son Air de Sémiramis (il fera aussi un mélodrame nommé Sémiramis en 1934, sur une musique d’Arthur Honneger).
Ce que l’on sait peu, en dehors des résidents et du facteur, c’est que ce sont en fait deux immeubles qui composent l’ensemble « Sémiramis » : l’un sur rue, l’autre sur cour. L’immeuble donnant sur la rue Verdi est logiquement le plus riche en ornementations. On notera en particulier les deux imposants oriels (une fenêtre en encorbellement aménagée sur un ou plusieurs niveaux d’une façade), soutenus par d’élégants corbeaux stylisés (élément saillant d’un mur qui permet de soutenir une poutre ou une corniche), ainsi que les mosaïques polychromes qui habillent la façade à hauteur du 5e étage. On note aussi que l’immeuble est couronné d’une pergola, faisant là encore référence aux célèbres jardins suspendus de Babylone, qui auraient eux aussi été créés par la reine Semiramis.
Avec l’immeuble voisin et contemporain « La pergola », ce sont ainsi deux joyaux qui en encadrent un troisième, bâti à peine quelques années avant mais dans le style Belle-Epoque qui était toujours très apprécié au début des années folles : le Castel Joli. Une belle illustration de la diversité et de la richesse architecturale du quartier des musiciens ! Plus à ce sujet ici.